LE JOURNAL DES TEMPLIERS - mardi 9 octobre Avec son cageot...

FESTIVAL DES TEMPLIERS, le texte de sa publication du 10-10-2018 09:12:29 :
LE JOURNAL DES TEMPLIERS - mardi 9 octobre

Avec son cageot de prunes à bout de bras, des mirabelles rangées à droite et des quetsches dans le coin gauche, Bernard passe de personne en personne. Certains sont embarrassés, une assiette d’aligot à la main, d’autres un morceau de tarte à portée de lèvres, tous réunis autour d’une table où quiches, cakes, fouace maison sont à la disposition des convives.
Je suis perplexe en plongeant la main dans ce cageot tendu devant moi comme une urne de la Croix Rouge un jour de collecte «Vous avez ramassé ces prunes, ici, au village ?». Ma question le surprend, il répond «mais non, moi je viens de Compeyre. Je suis de La Garde».
Gaby s’interpose « Bernard, lui-aussi est de notre association des anciens agriculteurs. Il a loupé les premiers Templiers mais depuis… » il fouille dans sa mémoire « il vient chaque année donner un coup de main au ravitaillement ». Bernard reprend la main « mais uniquement le vendredi, le dimanche, je chasse »

Bernard, ancien éleveur dans la vallée du Tarn, 500 brebis laitières et 200 pour la viande » sur 220 hectares s’étalant sur les coteaux du château Cabrières et de Quiers, est l’un des dix paysans retraités que Gaby Gély a fidélisé au fil du temps pour tenir le poste de ravitaillement de St André de Vézines. Ils viennent de Vabres, de Tiergues, de la vallée du Tarn et tout naturellement des grands causses. Hier soir, sur le coup des 19 heures, ils se sont réunis autour de Gaby lorsque celui-ci prend le micro pour les remercier de leur présence ainsi que les élus et la trentaine de St-Andréains les habitants de ce village qui autrefois s’appelait « Sanctus Andreas de Ovezinis ».

Quelques mois plus tôt, Gaby chef de poste à St André avec son frère Francis m’interpellait «et si j’organisais une petite soirée pour réunir tous les bénévoles avant la course. J’aimerai que vous soyez présents pour qu’ils vous connaissent mieux ?». L’idée a fait son chemin. Une grande télé pour revoir le film de la course, une sono, des tartes, des gâteaux et l’aligot préparé par un copain de la bande venu spécialement de l’Aubrac pour tourner à la spatule la tome fraîche, voilà, tout était là pour passer un bon moment de « convivialité ». Je n’aime pas ce mot disons « d’amitié ».

Les jours de course, tout est en accéléré, les visites de postes, les poignets de main, les embrassades, j’ai la troupe aux trousses. Je connais les visages, quelques prénoms, pas tous, j’essaie de n’oublier personne. Prenez les Parguel, Martine et Didier, chaque année, Francis Gély, le frère de Gaby les inscrit sur sa liste de bénévoles terrain. Un couple perdu à la croisée du chemin du Rajol et de La Roque dans le cirque de Montméjean, ce sont eux, souvent emmitouflés, calfeutrés pour tenir le poste du petit matin jusqu’à la tombée de la nuit. Martine explique « le vendredi, on est sur le terrain, le samedi c’est La Templière, je l’ai courue de 2002 à sa création jusqu’en 2016. J’ai même gardé tous les tee-shirts bien pliés dans mon armoire et le dimanche, c’est le départ des Templiers». Elle précise en portant sa main sur le cœur « ça tape fort » et de conclure ce grand week end par la Belle de Millau.

Dans cette assemblée, les femmes se sont assises en cercle pour papoter. Non loi du fourneau, dans une bassine, l’aligot refroidit, Christian, un autre Gély fait visiter le local des chasseurs où les trophées empaillés vous font de l’œil. Les hommes parlent entre eux, en bout de table il y a André et Gilbert. Je me joints à eux. André, c’est le doyen, il précise «j’ai 82 ans et demi et dans 20 jours, nous aurons 60 ans de mariage avec ma femme». Gilbert précise «ils sont nés le même jour» André vif comme l’éclair reprend à la volée «mais je ne sais toujours pas qui est né le premier de nous deux ?». Janine, l’épouse entend que l’on parle d’elle, elle se lève et avance timidement «c’est moi qui suis née la première mais c’est moi qui le suit toujours derrière».

André fut agriculteur à Pourcayras sur les hauts de Millau. Il fut également le président de la CASAM une coopérative locale. Puis lors de la fusion de toutes les coopératives aveyronnaises en une seule entité en 1991, on le nomma président de l’Unicor. Il apporte cette précision «on m’a dit toi tu rigoles tout le temps, tu seras président ». Gilbert en rajoute «c’est le bout en train de la bande». André marche dans le jeu «à ma retraite, mes enfants m’ont fait passer un BTS, le «Bouche Trou Spécialisé» car je fais tout ce que les autres ne veulent pas faire. Avant j’avais des galons, maintenant, je ne suis qu’un simple soldat».

Autour de la table, on échange des anecdotes. L’édition la plus mémorable des Templiers «c’était en 2010, à Prat Peyrot». Gilbert, André et Gaby venu se joindre à nous se rappellent « lui, il a fini en bonhomme de neige ». André ajoute en désignant du pouce Gilbert « habituellement, il est blanc – précisons qu’il s’appelle Gilbert Blanc – là, il a fini rouge de rouge en bonhomme de neige. Je me souviens, on leur donnait de la soupe. On les emmaillotait, dans leur couverture de survie, ils grelottaient tellement, ça faisait un bruit. On aurait dit qu’ils allaient à l’échafaud ».

20 heures, les 8 coups ont sonné, je m’attarde avec Catherine et Jean Michel, ils sont propriétaire de 80 hectares sur le causse. Ils prêtent gracieusement un terrain comme parking. Nous évoquons la problématique des chenilles car le village a été durement touché. Eux, fort peu, pas un de leurs chevaux n’a été contaminé. Jean Michel, en homme de terrain observateur de la nature, se veut rassurant « le plus dur est passé, cette année, nous n’avons eu que très peu de papillons, donc nous n’aurons pratiquement rien. Je pense que cette crise est derrière nous».

On me présente à un jeune couple, peut être la soixantaine, lui joue au quille au club de Millau. On parle brièvement de ce jeu, un sport traditionnel qui a résisté au temps pressé et même à prospérer «imaginez que le champion de France, il ne reçoit qu’un beau trophée en bois qu’il remet en jeu l’année suivante. Ya pas d’argent, c’est ça qui garantie la bonne ambiance dans ce sport ».

Je croise plus loin un couple plus discret, Pierre et Francine qui eux n’ont que 50 ans de mariage. Lui fut un géologue émérite, spécialisé dans la tectonique des plaques, professeur à l’Université d’Orsay, elle fut prof d’SVT dans le 9.1. A leur retraite, ils ont retrouvé leur terre natale « comme un retour au source ». Tout récemment, ils viennent d’ouvrir une galerie photo non loin du Vieux Moulin de Millau baptisé « Le Salon ». Pierre explique « mon grand père était barbier et mon père y fut coiffeur, nous avons ouvert cette galerie dans son ancien salon ».

Il est 20h30, cette assemblée se disloque, le maître aligotier range ses ustensiles de cuisine dans le coffre de voiture. Gaby a le nez dans le coffre de son Partner à ranger lui-aussi bidons et bouteilles. Un petit groupe salue de la main et plonge dans le noir. Au loin, près de l’église, un réverbère illumine le terrain de boule. Comme chaque soir, ils partent taquiner le cochonnet jusqu’à ce que le froid les engourdisse. C’est ça, la vie de village.

Nos photos : Gaby Gély dans la ferme de son fils où il donne régulièrement un coup de main - le groupe de bénévoles de St André de Vézines réuni pour cette petite soirée de préparation pour les Templiers

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